11 Janvier 2014
L’accident d’un proche ou « Quand l’affect empêche de prendre du recul »
Vendredi 27 décembre, nous allons à la patinoire en famille. En période de vacances, il ya beaucoup de monde. Nous y sommes depuis 1 heure lorsque mon épouse chute devant moi.
Les patins partent en avant, elle tombe sur les fesses puis le dos et enfin la tête tape lourdement au sol. Elle ne perd pas conscience et se plaint tout de suite de l’arrière de la tête.
Je constate qu’elle saigne de l’arrière de la tête.
Etant tout d’abord agenouillé sur son coté, je continue à lui poser des questions en la regardant dans les yeux et je prends mon mouchoir (propre) pour comprimer la plaie. Elle se trouve alors en décubitus latéral. Mon fils et moi lui mettons nos gants sous la tête pour la caler et je reste dans la même position pour ne pas quitter son regard. Elle est immobile et en position stable.
A mes questions, elle répond qu’elle n’a mal qu’aux fesses et à l’arrière de la tête, pas au dos ni ailleurs. Elle peut bouger sans problème, n’a pas de fourmillement, les pupilles sont normales et le restent. Pas de vomissement. Le pouls, quoique rapide, reste régulier et bien frappé.
En fait, j’ai eu vraiment peur au moment de la chute. Pourquoi n’ai-je pas réalisé immédiatement un maintien de tête alors que c’est le B-A-BA, je ne sais pas… L’affect a manifestement empêché la prise de recul !
A peine l’accident survenu, les agents de sécurité arrivent. Je leur dit rapidement que je suis son mari et ambulancier, qu’elle a une plaie à la tête, qu’il n y a pas de perte de connaissance initiale, qu’il faut appeler les secours, ce que l’un d’entre eux va faire tout de suite pendant que l’autre écarte les curieux.
Je suis toujours sur le coté en train de comprimer la plaie et de lui parler lorsqu’une femme arrive et demande si on a besoin d’aide, qu’elle est infirmière au SAMU. Je me présente à mon tour. Son visage ne me disant rien, (Travaillant au CHU, je pense connaitre de vue une bonne partie du personnel du SAMU de Montpellier) elle me dit appartenir au SAMU d’une ville à l’Est de Montpellier.
Je ne me souviens pas ce que j’ai pu lui répondre mais elle s’installe d’autorité à la tête et réalise un maintien de tête sans gants les mains dans le sang.
Elle constate le saignement et s’exclame : « Ah oui, ça saigne beaucoup ! » (Le mouchoir est imbibé et il y a une vingtaine de centimètres au carré de glace souillée ce qui représente une toute petite quantité de sang) Aussitôt à ce poste, elle s’adresse aux agents de sécurité pour leur ordonner d’un ton péremptoire de trouver son compagnon par n’importe quel moyen car il est ambulancier SMUR et qu’elle a besoin de lui.
Son compagnon nous retrouve une minute après, l’infirmière lui dit que ma femme saigne. Il s’approche et s’exclame : « Houlala, oh oui ! » Là, ma femme ni tenant plus leur dit qu’elle n’est pas sourde et qu’elle les entend. Je dis tout haut surtout pour ma femme que ce n’est pas si abondant et que sur la glace ça s’étale encore plus … (Tout ceci est pourtant évident !) Ils ne semblent pas m’écouter. Ils sont déjà en train de se faire plaisir, une intervention où ils sont les maîtres, sans médecin au dessus, sans compte à rendre, le top pour se réaliser !
J’ai conservé ma main en compression sur la plaie et je proteste mollement en lui demandant de retirer sa main car ce n’est pas son sang… Elle me répond comme un vieux routier qu’elle en a vu d’autres….
J’aurai pu l’éloigner parce que je n’avais aucune preuve de ses qualifications, aussi parce qu’elle mettait ses mains non gantées sur la plaie (Un soignant peut AUSSI contaminer une victime !) mais, en prenant la place de la tête, elle avait pris psychologiquement la place de leader et je me suis retrouvé dans le rôle du râleur du groupe…. Je me sentais très mal et ne pouvais plus initier mais seulement réagir…un peu.
Continuant à tenir son rôle de chef, cette femme dit qu’elle ne veut pas laisser ma femme sur la glace. Elle demande aux agents de sécurité un brancard ou plan dur. Je réponds, encore mollement, que les pompiers sont proches et seront là dans peu de temps puis je demande à ma femme si elle a froid, sachant qu’elle porte un blouson de sport d’hiver. Elle me répond avoir froid seulement à la jambe qui est en contact avec la glace. Ce « oui » très relatif suffit à conforter la « chef d’inter » autoproclamée et à bloquer mes réticences.
Les agents nous déclarent ne pas posséder de brancard mais, au bout de quelques minutes de recherche, apportent un plan dur. Je signale qu’on ne peut faire un relevage avec des patins à glace aux pieds. Les agents aussitôt vont chercher mes chaussures et me retirent les patins eux-mêmes afin que je ne quitte pas ma compression. Je pensais qu’ils en faisaient autant pour les deux « smuristes ». En fait, ils ne voulaient pas quitter leurs patins…mais je ne l’ai constaté que plus tard…
Isabelle étant sur le coté, ils décident de placer le plan dur dans le dos et de la faire rouler dessus. Là encore, je ne parviens pas à m’opposer mais râle qu’elle arrivera de travers vue la manière de se positionner et l’absence de rembourrage latéral. La seule réponse vient du « compagnon » : « C’est elle qui est à la tête, alors c’est elle le chef ! » De plus en plus mal-à-l’aise, je me tais et me laisse placer derrière le plan dur soit carrément à l’envers de la procédure de « roulement ».
Bien entendu, la manœuvre est lamentable. Ma femme se retrouve de travers et trop basse dans le plan dur. Elle est donc réalignée et remontée ! On imagine les conséquences si le rachis avait été touché ! Et j’entends à ce moment le supposé ambulancier SMUR dire : « C’est parfait ! » …avec un grand sourire…
Arrive le moment du relevage… Je m’aperçois que les deux compères ont conservé leurs patins ! Nous effectuons donc, toujours malgré mes protestations, un brancardage avec cinq opérateurs (4+1) dont deux (Avant-droit et maintien de tête) en Patins à glace…
En sortant de la glace, les pompiers étaient évidemment arrivés mais la femme a exigée qu’on rentre dans la pièce servant d’infirmerie au lieu d’installer directement dans le VSAV, et ce afin « d’en voir plus ». Une fois le plan dur posé sur la table d’examen, elle demande de quoi faire un pansement et demande qu’on tourne ma femme sur le coté. Les pompiers lui répondent qu’ils n’ont pas à le faire et elle s’impose à nouveau en disant qu’elle en prend la responsabilité. Nous finissons tous par nous exécuter et elle et son compagnon tentent de voir la plaie pour la nettoyer alors que les conditions ne permettent pas de voir quoi que ce soit… Ils font donc un pansement de fortune. Le saignement était arrêté depuis un bon moment…
Là j’ai fini par exploser en disant qu’ici on ne faisait rien de plus, qu’on arrêtait de s’amuser et que les pompiers étaient là pour la prise en charge et l’évacuation. En fait, ce qui m’obsède, c’est de savoir si ça saigne dedans et c’est à l’hôpital qu’on le saura ! Ils ont terminé, malgré tout, le pansement et la femme s’est éclipsée sans dire au revoir pendant qu’on faisait le transfert (Un de plus) entre le plan dur et le matelas coquille sur le brancard des pompiers.
Au final, deux points de suture, heureusement, et aucune suite médicale à part mal aux fesses et un peu partout pendant quelques jours.
Pour ces deux oiseaux, un joyeux souvenir d’intervention gérée aux petits oignons à la patinoire en étant peut-être persuadés que leur action fut déterminante, et, pourquoi pas vitale (Ma femme serait certainement morte de froid cinq minutes plus tard), ainsi que, j’imagine, la certitude que le mari de la victime est un abruti ingrat.
Quant à moi, deux nuits sans sommeil et un énorme sentiment de culpabilité de m’être laissé avoir comme cela… d’abord par ma propre émotivité et puis par ces deux-là. Sans leur intervention (Ou si je les avais écarté tout de suite !), nous serions resté immobiles durant un quart d’heure, la plaie comprimée manuellement se serait arrêtée de saigner de la même manière, les pompiers auraient effectué un relevage dans les règles de l’art et nous partions dans la foulée aux urgences. La force de persuasion de cette femme nous a fait effectuer des manœuvres stupides qui auraient pu avoir des conséquences énormes et, rien que d’y penser, me font culpabiliser encore plus ! Beau résultat !
Voilà d’ailleurs la raison profonde de cet écrit qui va me servir a me débarrasser de ce poids….
Cette expérience pose plusieurs questions :
Celle, bien sûr de l’affect qui bloque le raisonnement et la prise de recul sur l’intervention. En tant que formateur, j’y vois une réflexion intéressante, notamment sur la formation grand public à partir d’un message le plus simple possible pour qu’il ait une chance d’émerger au bon moment malgré le stress.
Il y a aussi, notre capacité, en tant qu’intervenant, à rester humble et à ne pas se laisser aller au « plaisir » de l’intervention !!! Car il faut être honnête, on prend du plaisir dans l’action sinon on ne le ferait certainement pas ! Mais à quel moment ne risque-t-on pas de tomber dans le « Jeu » et de faire « mumuse » avec le pouvoir que confère le prétendu « savoir » ???? Les limites sont pourtant bien définies par les référentiels de la sécurité civile (Ministère de l’intérieur) mais qui, semble-t-il, ne concernaient pas deux personnes appartenant au ministère de la santé…….
J’avoue avoir pensé aux termes utilisés par les anglo-saxons qui parlent de « Stay and play » (On reste et on joue) pour le système français et de « Scoop and run » (On ramasse et on court) pour les ambulanciers - paramedics.
…. et j’avoue aussi qu’en partant avec les pompiers, je me suis fait intérieurement la réflexion qu’avec des gens comme ça, je comprends pourquoi les anglais nous accusent d’avoir tué Lady D…
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